Chauffeur de taximoto à Marcory Anoumabo, Oumar, un gentil bonhomme, gagnait honnêtement sa vie. Sans tendre la main à quiconque malgré les difficultés qui se dressaient souvent sur sa route, il réussissait à s’occuper de sa famille, de sa femme et de ses six enfants. Analphabète, Oumar, d’un esprit perspicace, savait si bien l’importance de l’école qu’il avait fait de la scolarisation de ses rejetons, une priorité.
Bientôt, en septembre, ce serait la rentrée scolaire, et notre chauffeur s’apprêtait à faire face à ses multiples charges. Ce n’était pas facile de gérer toute une famille avec la seule activité du mototaxi. Mais il fallait s’accrocher.
Ce lundi 25 juillet, Oumar était à la gare de Marcory Sans Fil, attendant des passagers à transporter. C’est alors qu’un homme, grand comme un arbre et tout de costume vêtu, prit place dans sa carosserie en lui ordonnant de démarrer aussitôt :
-Mon ami, je vais au pied du Pont Henri Konan Bédié. Allons-y maintenant, je suis très pressé !
-Mais monsieur, il reste encore trois places, fit remarquer notre chauffeur. Attendez qu’on fasse le plein de passagers avant de démarrer.
-C’est une place à combien ?
-À deux-cent francs, monsieur.
-Allons-y, je paie toutes les places.
-Euh… Il n’est que 7 heures, et je n’ai pas encore quelque chose dans la caisse. Vous avez la monnaie au moins ?
-Oui, j’ai la monnaie, rassura le passager.
Oumar fit un bond et prit la manette de ses Trois roues. Arrivé à destination, le client descendit en se fouillant les poches : il n’avait pas de petites monnaies. Mince ! Pourtant il était certain d’avoir 800 francs et quelques jetons supplémentaires en poche. Que penserait le chauffeur de lui ?
Sous les yeux interrogateurs d’Oumar, le client, qui continuait à perquisitionner ses poches, fut obligé d’avouer, très contrarié :
-Je suis désolé chauffeur, en sortant de la maison, j’ai cru être sorti avec de la petite monnaie. Je n’ai que 10.000 francs.🥺
L’unique passager tendit le gros billet au chauffeur de tricycle. Ce dernier, impassible, refusa de prendre l’argent :
-Je vous avais dit que vous êtes mon premier client et que je n’ai encore rien dans ma caisse, se justifia-t-il. Vous croyiez avoir des jetons alors que non. Ce n’est pas non plus de votre faute. Allez-y, le transport sera gratuit pour vous. Je le dis avec bon cœur.
Le client en costume, dans un silence, regarda Oumar avec à la fois de la stupéfaction et de l’admiration. Avant de s’en aller tout embarrassé, il enregistra soigneusement le numéro de téléphone de son bienfaiteur dans son répertoire.
***
Une semaine plus tard, alors qu’il était à la gare, Oumar reçut un coup de fil. C’était un homme qui voulait le voir, disant avoir une commission pour lui.
-Je suis à Sans Fil. Venez donc, je vous attends, acquiesça le « mototaximètre ».
L’interlocuteur s’aména au bout de dix minutes, garant sa rutilante voiture 4×4 avec laquelle il était venu. Il alla vers Oumar qui le regarda venir en fronçant les sourcils. Les deux hommes se serrèrent la main.
-Vous ne me reconnaissez pas ? interrogea le monsieur de la 4×4.
-Non, je ne vois pas du tout, répondit timidement Oumar en continuant à fouiller dans les archives de son esprit.
-Il y a une semaine, vous me preniez sur votre taximoto. C’était un matin, de bonne heure. Je n’avais qu’un billet de 10.000 francs. Vous m’avez laissé partir sans me prendre 5 francs.
-Haha je vois maintenant ! s’exclama Oumar les yeux illuminés.
Le monsieur lui glissa aussitôt une grosse enveloppe kaki dans la main : « J’espère que ça pourra t’aider à développer tes activités », ajouta-t-il en tutoyant aimablement le chauffeur.
Oumar prit l’enveloppe. Interdit, bouche bée pendant un instant, il parvint à articuler «merci». Le monsieur retourna dans son véhicule, démarra, et s’en alla.
Voyant que l’enveloppe avait du volume, le chauffeur du mototaxi se rendit à la maison. Déchirant en toute discrétion le dessus du papier rectangulaire, il y trouva la bagatelle de 2 millions de francs CFA ! Incroyable ! Jamais le « poignon » n’avait compté, ni touché autant d’argent. Finis, les tourments sur les dépenses de la rentrée scolaire : la scolarité de tous ses enfants fut soldée d’un trait. Finies, les tortures sur les charges quotidiennes et mensuelles : il acheta deux autres mototaxis neufs et employa des chauffeurs qui lui rapportèrent journalièrement des recettes oxygénantes !
Oumar se demandait qui était cet énigmatique monsieur qui, pour un service a priori banal, était revenu vers lui pour lui manifester une reconnaissance si folâtre. Désormais à l’abri de l’indispensable, Oumar, père de six enfants, comptait bien foutre cinq autres ballons à sa femme pour atteindre l’effectif d’une équipe de football dont il avait toujours rêvé !
Louis-César BANCÉ