(…) Le 16 octobre 2022, alors qu’elle est au restaurant, Helenor sent une douleur au niveau des hanches. Elle appelle sa grande sœur Adeline, qui abandonne aussitôt ses activités en la rejoignant précipitamment à la maison. Helenor veut se reposer mais n’y arrive pas. Prise d’un vertige insupportable, elle est incapable de se tenir debout. Sa sœur l’envoie à l’hôpital où on lui diagnostique une fatigue générale. La malade est autorisée à rentrer chez elle pour se reposer et prendre les médicaments prescrits.
Trois jours après, les douleurs aux hanches se ravivent. Helenor, clouée à la maison, appelle à nouveau sa sœur. Celle-ci abandonne son travail, se précipite à son chevet en faisant chauffer de l’eau pour lui faire un massage au mentholatum. Quand elle veut rentrer à son domicile en croyant que tout va bien, Adeline se heurte au refus de sa cadette :
-Reste avec moi s’il te plaît, et serre-moi fort, grande sœur. Tu sais, je regrette de n’être pas rentrée en Côte d’Ivoire pour voir mes enfants. Qu’ils me manquent ! Je ne veux pas mourir…
-Tu ne mourras pas, petite sœur, répond Adeline en serrant sa cadette dans ses bras. Chasse de ton esprit toute idée négative. Tranquillise-toi, je reste avec toi. Demain, nous irons encore à l’hôpital. Et quand tu seras guérie, tu iras à Abidjan voir tes enfants…
Toute la nuit, Helenor n’arrive pas à dormir, ni à tenir sur ses jambes. Sa sœur reste à ses petits soins.
Le lendemain, dimanche, elles sont à l’hôpital CheickKalifa, l’un des meilleurs de Casablanca. Les examens y révèlent que Helenor ne souffre pas d’un cas de Covid 19, confirmant la fatigue générale. De retour à la maison, la malaisée semble avoir une mauvaise intuition. Vers 18 heures, elle montre volontairement le code de son téléphone à sa grande sœur… La nuit, transpirant de la tête tandis que le reste de son corps est glacé, Helenor demande à sa sœur de la pincer.
-Adeline, tu m’as vraiment pincée ? demande-t-elle en voyant que sa sœur s’y est mise. Tu m’as pincée, vraiment ?
-Oui, Helenor. Je continue de le faire…
-Tu es sûre que tu me pinces ? Car je ne ressens rien du tout !
-Je vais prier pour toi…
Helenor se met à mordiller sa langue tandis que sa sœur invoque le Ciel pour sa guérison.
-Adeline, tu as une lame ? interroge la malade. Déchire-moi vite !
Adeline déchire la plante du pied de sa sœur. Pas de sang. Elle fait ensuite une ouverture dans la main de l’agonisante. Aucune trace rougeâtre. Rien. Vite, elle soulève sa cadette et sollicite une voiture de transport dehors. Beaucoup d’automobilistes refusent de les embarquer à cause de l’état de la malade. Au Maroc, c’est comme ça, on ne transporte pas les malades n’importe comment. Finalement, une bonne volonté accepte de les conduire. À l’hôpital CheickKalifa de Casablanca où elles se retrouvent, la médecin se prononce sur le cas de Helenor :
-On ne peut plus rien faire pour elle… Allez-y au CHU…
-Au CHU ? se plaint Adeline. Comment au CHU ? Nous sommes Ivoiriennes, étrangères dans ce pays, et on ne sait pas où est situé le CHU. Pour le moment nous sommes dans vos locaux, et vous voyez bien qu’il y a urgence, docteure ! Faites quelque chose pour ma petite sœur, je vous en prie !
-Aidez-moi, je n’arrive plus à respirer, supplie Helenor pendant ce temps…
Puis, tout d’un coup, c’est le silence. Un médecin de l’hôpital fait son entrée, et contrairement à sa collègue fataliste et démissionnaire, il se penche rapidement sur la patiente. Au bout de quelques minutes, il annonce la mauvaise nouvelle à Adeline :
-Je suis désolé… Votre sœur est partie… Cependant, ça fait 35 ans que je pratique la médecine, et je n’ai jamais vu un cas comme celui de Tiehi Helenor. Je l’ai examinée. Il n’y a aucune maladie en elle. Elle était pleine de vie et de santé. Il y a quelque chose de bizarre dans son décès…
Le 24 octobre 2022, le médecin établit le certificat de décès de Helenor en évoquant une « Mort suspecte. » Elle a rejoint l’autre rive à seulement 27 ans. Le corps de la pauvre immigrée est expédié à la morgue où au regard des péripéties de son trépas, l’on y conseille à Adeline de porter plainte contre la médecin léthargique de l’hôpital CheickKalifa. Considérant qu’elle n’est pas dans son pays et refusant toute noise avec des nationaux, celle-ci préfère s’en abstenir, laissant pour elle à Dieu.
Adeline Tiehi et quelques amis de sa défunte sœur conjuguent leurs efforts pour transférer le corps de Helenor à Abidjan. Mais à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny le 10 novembre 2022, le cercueil de la disparue refuse de bouger. Le corbillard ne peut accélérer, immobilisé, comme s’il ne contient aucun moteur. De plus, une pluie étrange s’abat seulement dans le périmètre du véhicule funèbre où sont assemblés des membres de la famille. Certains parmi eux sont désignés pour parler au corps de Helenor, afin qu’elle accepte de se faire conduire.
-Helonor, professent des parents penchés sur son cercueil, là où tu es, tu sais certainement ce qui t’est arrivé et les vraies raisons de ta mort. Si ce sont des sortilèges qui t’ont emportée, tu as raison d’être fâchée. Mais apaise ton cœur. Et sache que tu es dans ton pays. Accepte qu’on rentre à la maison, chez nous au village…
Après ces paroles prononcées à son endroit, Helenor se laisse conduire jusque dans l’ouest ivoirien, dans son village, à Pombly. La nuit du vendredi 26 novembre 2022, ses funérailles se déroulent sur la terre de ses aïeux, en présence d’un public impressionnant.
Le lendemain, samedi 27 novembre dans l’après-midi, elle est inhumée au cimetière du bourg. Pendant ces moments, des langues se délient, disant que sa mort n’a rien de normal et que ce sont les sorciers du pays wê qui l’ont éteinte. Vérité ou suspicion ? À quoi s’en tenir quand le certificat de décès de la disparue évoque une MORT SUSPECTE ?
Louis-César BANCÉ,
Envoyé spécial à Pombly
(Rédigé à partir des témoignages d’amies et parents de la disparue, principalement sa grande sœur Tiehi Adeline avec qui elle vivait au Maroc, à Casablanca.
Intégralité de l’article dans le »Allo Police » n°673 de ce lundi 12 décembre 2022)