Je suis né à Attécoubé, un quartier populaire d’Abidjan. Mes parents, de religion musulmane, m’ont initié à l’islam, dès mon bas âge. Idem pour mes deux frères et sœurs, qui comme moi, ne manquaient jamais les heures de prière, que ce soit à la maison ou les vendredis à la grande mosquée d’Attécoubé.
L’imam principal, au cours de ses prêches, recommandait beaucoup aux enfants de respecter leurs pères et mères, et que c’était là, la voie idéale pour obtenir la bénédiction céleste ainsi que la réussite terrestre. En tout cas, je suivais à la lettre les conseils du guide religieux, en espérant que Allah fasse de moi un jour, quelqu’un de prospère. En classe de Terminale après mon BAC, j’obtins une bourse d’études. J’étais heureux de n’être plus une charge pour mes parents, qui avec le peu qu’ils gagnaient, se sacrifiaient pour notre éducation. Mon père était manœuvre, et ma mère, marchande ambulante.
Après des années d’études en Occident au frais du gouvernement, je revins au pays, avec toute la hâte de rencontrer enfin physiquement Farida, une jolie fille musulmane dont j’avais fait la connaissance sur un site Internet. Émerveillé en découvrant tout le confort dans lequel elle vivait à Cocody, j’eus honte de présenter cette fille de bonne famille à mes parents qui logeaient eux, dans leur vieil habitat délabré, dans un quartier précaire. J’inventai une histoire à ma fiancée, en lui disant que mes parents avaient perdu la vie dans un accident. Le faux orphelin que j’étais, et qui avait obtenu un poste juteux dès son retour de voyage, se maria avec Farida, sous la bénédiction et en présence de toute sa famille. Mon épouse et moi habitions une villa cossue, dans le quartier résidentiel de la Riviéra Bonoumin. Trois ans après notre mariage, Farida ne m’avait pas encore donné ne serait-ce qu’un enfant. Notre demeure, belle, grande et spacieuse, n’avait besoin pourtant que de la présence d’un bébé pour que ses couleurs aient un sens. Inquiets, ma femme et moi finîmes par aller en consultation. Le docteur nous certifia que nous étions tous les deux fertiles, compatibles en sus, et qu’il trouvait notre échec de procréation assez incongru. Toutefois, il nous recommanda des astuces, et nous prescrivit une ordonnance. Ses conseils et ses médicaments ne purent toujours rien dans la résolution de notre problème. Farida et moi sollicitâmes les services de bien d’autres experts aussi bien nationaux qu’internationaux. Malgré cela, le problème de notre aridité demeurait inexplicable, des années encore après.
Puis un jour que ma femme revint de la mosquée, elle me dit avoir expliqué notre problème à l’imam. Ce dernier voulait nous parler à tous les deux. Il se racontait que le guide islamique en question était un homme atypique, qui savait les secrets et le pouvoir du coran. Les fidèles disaient aussi qu’il avait un sixième sens. Je n’y croyais pas trop personnellement jusqu’à ce que mon épouse et moi partîmes à sa convocation. Vêtu d’un boubou blanc, son chapelet en main avec un coran près de ses jambes croisées, le guide religieux me posa des questions sur ma vie, et notamment ma famille, dans la salle de prière couverte de nattes où nous étions. Il fronça les sourcils quand je lui affirmai être orphelin. Mais ce qui me percuta fut la question qui suivit :
- Tu es sûr que tu es orphelin ?
J’étais resté silencieux, en me demandant comment était-ce possible qu’il me fasse cette interrogation intriguante. Face à mon silence, il feuilleta les pages du livre saint, s’arrêta à un chapitre, lut certains versets arabiques qu’il semblait connaître par cœur. Soudain, il fit une déclaration sidérante qui me convainquit plus que jamais qu’il n’était pas un homme ordinaire : - Ibrahim, tu dis que tes parents sont morts, et pourtant je les vois sur les pages du coran, se plaignant de leur pauvreté, pendant que toi tu es dans une rivière de miel.
Ma femme me regarda, les yeux hagards. L’imam continua sous ma grande stupéfaction :
- Tes parents sont-ils en vie ou pas. Réponds véridiquement à cette question avant que je ne vous révèle où se situe votre problème d’infertilité.
Je me mis à sangloter en passant aux aveux, les mains cherchant les épaules de ma femme : - Farida, pardonne-moi. Je te présente mes excuses. L’imam a raison, mes parents vivent encore. Quand je t’ai rencontrée et ai vu toute l’opulence de laquelle tu découlais, j’avais honte que ta famille et toi découvriez la précarité des miens. Alors j’ai dû te mentir qu’ils sont morts, pour que tu me considères comme une personne de bonne famille.
- Ibrahim, tu te rends compte de ce que tu as fait ? C’est monstrueux ! Que tes parents vivent dans un trou, je t’aurais quand même suivi. L’amour ne regarde pas tout ça. Pourquoi m’avoir épousée en l’absence des tiens alors que tu sais très bien qu’ils sont là ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Je ne sais pas si je pourrai continuer à vivre avec toi. Tu as attiré sur nous la malédiction !
L’imam renchérit aussitôt aux propos de mon épouse : - La malédiction ! Ibrahim, ta femme a touché le cœur du problème. Dans le coran, il y a ce célèbre Hadith de l’homme qui s’adresse au Messager de Allah en ces mots : « O Messager de Dieu ! Quelle est la personne qui mérite que je lui tienne plus compagnie ? » La réponse du prophète est ceci : « Ta mère, ta mère, ta mère et ensuite ton père. » Le même coran nous rapporte l’histoire de Jahima qui s’en va demander des conseils au prophète avant son départ pour le jihad. Et le prophète de lui dire :
« Prends soin de ta mère car le paradis se trouve sous ses pieds ».
Ibrahim, retiens bien que le Saint Coran valorise les parents, et particulièrement la mère.
Dans le Saint Coran, le Très Haut Allah dit dans le Sourate 4 – Versets 36 : « Adorez Allah et ne lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers vos père et mère ». Ce verset indique qu’il faut honorer ses parents, car ils sont le symbole de l’autorité de Allah sur terre. Ibrahim, Farida, voici ce que Dieu m’a révélé pour vous. Tous les médecins du monde ne pourront vous faire procréer tant que Ibrahim ne lave pas le péché de reniement qu’il fait subir à sa famille. Une famille qui sait bien l’existence de son enfant, qui le voit souvent dans les journaux ou à la télé, et qui jamais n’a reçu sa visite depuis son retour d’Europe. Désolé pour la lourdeur du mot, mais c’est vraiment monstrueux. Vous savez ce qu’il vous reste à faire, Allah, à travers moi, vous a parlé.
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Je sortis de chez l’imam en pleurant. Farida m’accompagna au domicile de mes parents où on m’accueillit comme un messie, comme un fils prodige et prodigue. Bon Dieu, comme la maison dans laquelle ils vivaient était devenue plus effroyable ! Une pauvreté qui ne disait pas son nom. J’avais vraiment honte de moi. Vivre six ans, dans la même ville que sa famille, et faire comme si elle n’existait pas alors que c’est au prix de sa sueur qu’elle m’a mis à l’école. L’imam avait raison, je n’étais qu’un monstre…
Bien très vite, j’achetai une villa aux miens, et leur fis déménager d’Attécoubé à Cocody, pourvoyant à tous leurs besoins.
Je lisais le bonheur dans les yeux de mon père, et la lueur dans ceux de ma mère remplissait mon cœur de joie. Mes parents me pardonnèrent mon abandon, et me bénirent. Le mois qui suivit ces retrouvailles favorisées par l’imam, Farida tomba enceinte pour la première fois que nous vivions ensemble depuis six ans. Elle donna naissance à un triplet masculin dont les cris et pleurs remplirent notre demeure d’un bonheur indescriptible.
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Parfois, la cause de notre malheur peut ne pas être physique, mais purement spirituelle, comportementale. Et tant que nous cherchons à guérir le mal ailleurs que là où nous avons fauté, nous serons toujours confrontés à des insuccès jusqu’à ce que nous pansions la plaie, là où nous l’avons véritablement creusée.
Honorons nos parents, les clés du paradis sont à leurs pieds****
Louis-César BANCÉ