Depuis combien de temps Andréa et moi sommes-nous séparés ? Un an et demi, peut-être un peu moins. Mais la séparation fut si rude pour moi qu’il m’a l’air qu’elle s’est effectuée seulement hier, le souvenir de cette fille atypique demeurant toujours vivace en moi. Il y a de ces goumins si têtus qui nous collent à la peau, de façon indélébile, vous savez. Le mien me ronge, continuellement, et je dois le reconnaître, j’aime toujours mon ex.
Il y a longtemps, quand nous avons tenu une causerie amicale au téléphone, Andréa m’a dit avoir été embauchée dans une grande société de téléphonie, au service de communication. Avec un ton assez ironique, il m’a semblé qu’elle me narguait de la sorte :
– Oh tu sais Louis, j’ai eu un gros boulot dès après notre rupture, comme si c’était ce qu’il me fallait pour que Dieu m’ouvre de véritables portes.
– Haha je suis content pour toi, Andréa. Et quel travail fais-tu ?
– Je bosse dans une société de téléphonie. Tu vois celles qui disent »bonjour, votre correspondant ne peut être joint, veuillez rappeler ultérieurement », il s’agit de ma voix, parmi tant d’autres bien-sûr. J’ai toujours rêvé de faire ce métier.
– Je suis content pour toi, Andréa. J’étais persuadé que tu réussirais dans la vie.
Au fond de moi cependant, en toute vérité, je n’étais pas content. Ce que je voulais, c’est que Andréa croupisse au chômage. Elle a eu du travail, malheureusement ! Vous ne savez pas combien je brûle de l’imaginer dans un bureau climatisé, dans une belle tenue, et en toute flamboyance…
Puis, ce lundi, en début de soirée, je me dirigeais à la gare Renault d’Adjamé pour emprunter mon gbaka de Yopougon. Et soudain, en bordure de route, juste en face de l’Église universelle, je tombai sur un spectacle effarant : j’ai aperçu Andréa, mon ex, en train de vendre des dessous féminins en hurlant comme les vendeurs de yougouyougous :
– Approchez approchez ! Ce n’est pas cher hein. Des dessous à la taille de toutes ! Cœur rouge, petit papillon, collé-serré…
Pendant qu’elle présentait ses articles, le regard d’Andréa croisa brusquement le mien. Elle s’immobilisa net, interloquée. Nous nous regardions, yeux dans yeux. Je n’en revenais pas. Je fis deux pas dans sa direction tandis qu’elle semblait m’accueillir avec un sourire nigaud. Andréa, l’agent de communication dont la voix suave résonnerait à l’accueil des réseaux mobiles, vendeuse de dessous féminins à Adjamé ? Paati !
– Comment tu vas ma grande ? Ça fait un siècle !
Elle garda le silence face à mon exclamation, les mains suspendues dans l’air, l’air de vouloir accrocher ses slips sur un séchoir. Je parie qu’elle faisait une prière à l’intérieur d’elle afin de disparaître de ma vue.
– Louis, je vais bien, finit-elle par dire dans un bégaiement. Je profite de mes congés pour faire un p’tit job, au fait…
Je ne lui avais pas demandé de se justifier, pour autant que je sache.
– Haha, tant mieux ! Sinon j’allais te dire qu’il n’y a pas de sot métier. Laisse-moi voir tes dessous. Je vais en acheter quelques-uns.
Andréa parut gênée quand elle m’entendit parler ainsi. Jalousie naturelle d’une ex. Elle ne put pas s’en cacher :
– Tu veux acheter des dessous ? Mais pour qui ?
– Pour ma nouvelle chérie, Andréa. Donne-moi celui-là, le rouge, en forme de cœur-là. Puis le bleu. Ainsi que le violet… Combien ça fait ?
J’achetai cinq dessous de grande taille. De très grande taille. Si vous voyiez les yeux d’Andréa en ce moment là ! Elle avait compris que sa remplaçante avait un bassin qui faisait trois fois le sien. Haha comme c’était plaisant de lire la contrariété dans ses yeux !
Je lui payai son argent, puis me dirigeai vers ma gare de gbaka en sentant son lourd regard honteux dans mon dos. Paati ! Elle m’avait taxé ! J’avais payé sans lui demander de rabais, bien que soupçonnant une surenchère. Il ne fallait pas lui montrer que c’était toujours dur chez moi également. Quant à son job dans la société de téléphonie, ce ne pouvait être qu’une poudre de perlimpinpin. À l’heure des NTIC, d’aucuns diraient qu’elle m’a servi une fake news.
Andréa, vendeuse de yougouyougou à Adjamé, c’était tout ce qu’elle pouvait devenir après ce qu’elle m’a fait. Tout se paie sur terre, Dieu est souverain, sa justice se manifeste toujours…
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J’étais dans le gbaka avec cinq dessous féminins dans un sachet. Que devrais-je en faire ? En fait, je ne savais pas à qui les donner. À vrai dire, j’étais encore sans petite amie…🙄🏃🏻♀ Vous avez quelqu’un à me présenter ? Il lui faut un minimum de tour de bassin de 120 centimètres. Car ce que j’ai en main, ce ne sont pas des slips, ce sont de vrais »bâches », paati. À qui les cinq dessous ?
Louis-César BANCÉ