Roxanne se souvient avoir rencontré cet homme à la sortie d’une pharmacie. Il l’avait gentiment interceptée en lui faisant des compliments. Après quelques mots échangés, elle daigna lui donner son numéro de téléphone. C’était un bel homme, et sa galanterie méritait qu’elle lui accordât un peu de crédit. Son nom était Steave-Anderson. Depuis leur rencontre, il l’appelait fréquemment en se montrant très aimable au bout du fil. Roxanne commençait à aimer cet homme jusqu’à ce qu’un jour elle reçut un message de ce dernier :
« coman va-tu la pluie jollie ? Mont keur n’a pas cecé de battre poure toi dès l’instemps où je t’ai rencontrer à l’entré de se farmacie. Des bizoux. Je t’adaure. »
La jeune femme était troublée après la lecture d’un SMS comportant des fautes si inadmissibles ! Quelle manque d’élégance ! Quelle laideur ! Elle qui avait commencé à aimer Steave-Anderson se mit soudain à ressentir un profond dédain pour lui à cause des crimes linguistiques calamiteux dont il s’était rendu coupable. Roxanne, allergique aux abréviations et autres fantaisies écorchant la langue, avait beaucoup d’admiration pour les belles lettres. Méticuleuse sur tous les points, elle pouvait tomber amoureuse d’un mot bien placé, d’une phrase bien écrite, une stylistique bien bâtie, et c’était tout à l’avantage de son auteur. C’est toute désolée qu’elle répondit au message de son courtisan, lui disant qu’elle ne souhaitait plus interagir avec lui et qu’il ne fallait pas insister.
« Roch Âne min pourkwa toi d’un kou ? Je t’aime tu saih ! »
En plus il ne savait même pas écrire un simple prénom. Roch Âne. Quel âne, ce monsieur ! Quand il s’agissait de dire je t’aime, là il pouvait l’écrire correctement… Haha le cancre !
Malgré l’insistance du dragueur pour renouer contact avec la femme qu’il avait subitement aimée, elle lui montra que désormais, il était complètement indésirable, allant jusqu’à mettre son numéro sur liste noire pour ne plus avoir à recevoir ses appels encombrants.
Un mois après, Roxanne se rendit dans une entreprise privée pour un entretien d’embauche. Le LCB-Traduct s’était installé dans le pays depuis peu et se signalait déjà comme la plus grande société d’interprétariat. Roxanne, qui avait un master en anglais, rêvait de faire une grande carrière d’interprète.
Une fois au sein de la société, elle attendit que ce fût son tour pour accéder à la salle où le directeur de l’entreprise, en personne, menait le ballet des interrogations. Et quelle ne fut pas la surprise pour notre jeune diplômée de se retrouver en face de Steave-Anderson, le courtisan qu’elle avait rencontré devant une pharmacie et qu’elle avait trouvé indésirable à cause de ses fautes scandaleuses en grammaire, en conjugaison et en orthographe.
Toute honteuse, Roxanne répondit aux questions que lui posèrent le patron qui l’avait bien évidemment reconnue. Malgré son bon niveau d’anglais, la jeune postulante eut d’énormes difficultés à déchiffrer certains mots prononcés par le meneur du bal. Elle trouvait son anglais trop académique, trop corcé… Après l’entretien, elle sortit de la boite avec le sentiment de n’avoir pas été à la hauteur.
Quelques jours après, Roxanne reçut un appel du numéro fixe de LCB-Traduct : elle était recrutée au sein de l’entreprise !
La nouvelle recrue enleva le nom de Steave-Anderson de la liste noire de son répertoire téléphonique. Elle lui envoya un message en anglais, pour lui présenter des excuses, pour avoir rompu tout lien avec lui sans lui en donner les raisons. En plus, elle venait de comprendre que le motif qui l’avait poussée, était complètement absurde. Son désormais nouveau patron lui répondit dans un anglais parfait, en s’amusant à lui notifier les coquilles contenues dans le message qu’elle lui avait envoyé…
Steave-Anderson et Roxanne se retrouvèrent bientôt dans un restaurant, pour un déjeuner galant. Là, au cours de leur dialogue, la jeune femme éclaira son amoureux sur les raisons qui l’avaient amenée à ne plus souhaiter le revoir. L’homme n’était pas dupe, il le savait depuis le premier jour. Tout de même, il accepta les excuses de la belle femme, qu’il aimait toujours, en lui expliquant ce qu’avait été sa vie. Il avait fait son cursus scolaire dans un pays anglophone. Et compte tenu de ses diverses et nombreuses sociétés à administrer, il n’avait plus le temps de se spécialiser dans l’écriture de la langue française dont il avait cependant une parfaite maîtrise de l’oral. Concernant l’écriture, il écrivait en français en fonction du son…
Roxanne avait compris qu’il ne fallait pas trop vite juger les autres, encore moins les condamner pour une chose qu’on maîtrise mieux qu’eux. Ils sont peut-être meilleurs que nous dans un domaine que nous sommes loin de pouvoir soupçonner…
Steave-Anderson et Roxanne se marièrent des mois après, et devinrent ce couple complémentaire dont la belle histoire d’amour incarne une vraie leçon de vie : l’humilité, la compréhension des autres, la tolérance…
Louis-César BANCÉ
( Il m’arrive parfois de lire certains amis Facebook s’adonnant à une moquerie de leurs interlocuteurs, parce que ces derniers s’expriment avec des coquilles, des fautes. C’est tellement idiot de se croire supérieur à quelqu’un dont le niveau d’écriture est inférieur au nôtre ! Vous avez eu la chance d’avoir une bonne formation scolaire, d’être aller loin à l’école, d’être intelligent dans votre domaine, si vous le voulez. Connaissez-vous la vie de celui dont vous vous moquez parce qu’il ne sait pas écrire correctement une phrase ? C’est un mécanicien qui n’a pas franchi le collège. Mais vous, savez-vous réparer une voiture comme lui ? Autant vous le voyez en analphabète, autant vous êtes son analphabète, dans son domaine à lui.
Celui dont vous vous moquez, est allé loin à l’école peut-être, mais n’a jamais su maîtriser les règles françaises : sa bête noire. C’est possible qu’il soit un bon médecin, un bon mathématicien. Mais vous, qui vous taguez d’être les gardiens de la langue de Molière, on vous donnera une équation ou un problème de statistiques à résoudre que vous vous gratterez la tête.
Sur Facebook, j’ai connu un docteur en lettres, qui m’aidait à travers ses remarques, à améliorer mes notions de grammaire et de conjugaison. Un maitre de la syntaxe ! Bien qu’il s’essaie aussi à l’écriture, je me souviens qu’il m’a appelé un jour »maitre ». Je lui ai dit mais mon prof y a quoi. Ne m’appelez pas comme ça, parce que c’est l’inverse ! Et il a ajouté : « moi-même je sais que tu es mon maitre en matière d’imagination parce que je n’ai pas cette facilité et cette promptitude à faire de la fiction comme toi »…
Soyons humble dans tout ce que nous faisons, car les talents sont multiples, diversifiés dans cette vie, et chacun a le sien. Retenons que nous sommes tous l’analphabète de quelqu’un, alors nous nous devons d’être tolérants, compréhensibles envers les autres.
Louis-César BANCÉ