Parti de la Guinée-Conakry en vue de rallier l’Europe pour me trouver une vie meilleure, j’ai dû transiter par le Maroc où j’ai tenté une traversée de la méditerranée… Mon bateau de fortune ayant échoué pendant la navigation périlleuse, je me suis retrouvé de nouveau à Melilla, sur les côtes marocaines, des centaines de corps de candidats à la migration, inanimés autour de moi.
Je crois que la mort aurait été encore plus adoucissante eu égard à l’enfer qu’il m’a été donné de vivre en terre marocaine. N’ayant plus le moindre kopeck pour soudoyer qui que ce soit, j’ai été emmené manu militari par des soldats. Malgré mon état asthénique, ils m’ont frappé avec les crosses de leurs armes et m’ont enfermé dans une prison anarchique. J’y ai vécu les pires humiliations de ma vie auprès d’une multitude de captifs africains originaires pour la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Parmi ces derniers, il y avait des femmes que nos geôliers isolaient dans un couloir pour les vio…ler, en déboukéhi. 😭
Pour espérer avoir la liberté, il fallait payer une amende de 5000 Dirham. Parfois on nous remettait des téléphones pour nous permettre de joindre nos familles. Personne, parmi les miens, n’envisagea de me secourir, malgré les moyens des uns et des autres. Mon frère, gourou à la BCEAO et multimillionnaire, me gronda au bout du fil avant de me raccrocher au nez : « C’est moi qui t’ai demandé de partir de la Guinée ? Je n’ai pas 5 francs à t’envoyer. Quand on va te mougou au Maroc là-bas c’est là tu vas t’assagir ! »
Désespéré, j’ai dû, en dernier recours, appelé mon Ex dont je connaissais encore le numéro par cœur. Il est très difficile d’effacer de l’esprit les identifiants d’une diablesse avec laquelle on a vécu des moments forts.
Vous savez quoi ? Figurez-vous que Zenab Dramé m’a fait le geste salvateur sans que je ne m’y attendisse le moins du monde ! Elle avait réussi à raviver mon amour pour elle après toutes les souffrances et les rancœurs qui avaient entaché notre relation. Lorsque je fus mis en liberté, ce fut encore elle qui m’expédia une somme d’argent avec laquelle, je pus, enfin, rallier l’Europe ! Cette fois, le canot pneumatique était heureusement arrivé à destination !
En Espagne, la barrière de la langue a vite fait de me faire gambader vers la France. J’ai débarqué à Paris un jour de Février 2019, en plein hiver. Un service de l’Office Francais de l’Immigration et de l’Intégration m’a fait intégrer une maison d’asile. On m’y a donné des vêtements antifroids, une chambre où dormir, de la nourriture ainsi que de l’argent de poche…
Grâce à mes expériences de bon grouilleur, mon intégration en France se fit en un temps éclair. Bel homme que je suis, j’étais l’objet de racolage d’une pléthore de femmes blanches. Cependant, j’optai pour la reconquête de Zenab Dramé, mon Ex. Avec les moyens que je mis à sa disposition, elle me rejoignit à Paris, par vol régulier, au cours de la soirée du mardi 13 décembre 2022. Quel bonheur de la retrouver et de repartir sur de nouvelles bases !
***
Mercredi 14 décembre 2022. Deuxième jour parisien de Zenab Dramé dans notre bel appart, au moment où la France, notre pays hôte, s’apprêtait à affronter le Maroc en demi-finale de la Coupe du Monde Qatar. Férue de football, ma dulcinée espérait voir l’équipe de Walid Regragui triompher des Bleus.
-Le Maroc amènera enfin l’Afrique en finale ! s’est-elle exclamée. Nous devons pousser nos frères africains vers la victoire ! À nous la Coupe !
-Nos frères africains ? Laisse-moi rire. Non, le Maroc sera écrasé par la France ! Ce Maroc, qui prend plaisir à écraser les africains noirs qu’ils considèrent chez eux comme des sous-hommes ! Tu les vois comme tes frères africains. C’est bien. Mais eux, te voient-ils comme une sœur de même race ? Dans leur entendement, ils sont Blancs. Fait prisonnier, j’ai vu mes sœurs africaines se faire vio…ler par des soldats marocains, impunément, comme si elles n’étaient que des objets ! Nous avons tous été ta…bassés, laissés dans la faim, malnutris, escroqués. J’ai eu de la chance, Zenab. Certains prisonniers n’ont pas été libérés bien qu’ayant donné les 5000 Dirham exigés par nos geôliers. Ces geôliers qui font ce qu’ils veulent et pour qui l’esclavage est plus que d’actualité. Quand je suis arrivé en France, je n’ai pas été fait prisonnier. J’avais froid, et on m’a donné une couverture. J’avais besoin d’un toit, on m’a donné une maison où dormir. J’avais faim, on m’a donné à manger. La France a respecté mes droits les plus fondamentaux, elle qui ne siège même pas en Afrique contrairement au Maroc qui partage les mêmes dérives déshumanisantes que l’Algérie, la Lybie et tutti quanti ! Oui, je supporte l’équipe de FRANCE pour ses valeurs humanitaires et son respect des Droits de l’Homme !
Ma petite amie m’écouta, donnant l’air d’être plongée dans une méditation. Elle fendit soudain le silence qu’on observait après mon intervention :
-Chéri, parlant de cette France que tu angélises tant.Tu as oublié qu’elle a été une grande actrice de l’esclavage des Noirs ? Monitrice de la Traite Négrière ? Que dis-tu de cette colonisation avec laquelle ils nous ont assujettis de la plus ignoble des manières ? Que dis-tu de nos Ressources qu’elle a pillées, qu’elle continue de piller pour se développer à notre détriment ? Eh bah, cette France que tu vénères est encore en Guinée, au Burkina, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, dans une multitude de pays africains, continuant à sévir en ces temps d’indépendance pacotille de nos peuples ! Si cette France t’a offert des habits antifroids ici, c’est parce qu’elle a volé le coton qui pousse chez toi. Si elle a pu t’offrir un toit quand tu es arrivé chez elle, c’est parce qu’elle a dévasté nos forêts en emportant nos billes de bois. Si elle a pu te servir à manger, c’est bien parce qu’elle s’est volatilisée avec le fruit de nos produits agricoles… Chéri, ta France, elle n’est pas sainte !
-Je la préfère à des faux africains, des frères postiches qui n’ont de cesse de nous humilier. Allez les Bleus !
-Allez les Chérifiens !
-Tu vois, Zenab, tu ne sais pas soutenir les idéaux de ton homme. C’est lamentable pour une femme qui dit aimer.
-Et ça a quel rapport, cher monsieur ? Écoute, très cher Thierno Bangoura. Je te rappelle que ce sont tes méthodes dictatoriales qui ont été l’une des causes de notre séparation. Voudrais-tu faire de moi ton mouton de Panurge ?
La discussion devenant une dispute entre ma petite amie et moi, je changeai le rythme par une vanne. Le match France-Maroc commençait dans peu de temps. Nous avons filé dans la chambre pour faire un match propre à nous, en attendant de nous placer devant la télévision. Jamais je n’avais allumé Zenab avec autant de force, autant de hargne. Au fait, accroché à ses fes…ses, je le faisais avec l’impression de cogner du Maroc !🤧
Louis-César BANCÉ
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