La pluie qui tombe sur Abidjan depuis le matin n’est pas camarade de quelqu’un. Le ciel est déchaîné même à nous déverser tous ses torrents de larmes. À cause du temps soayé et des risques d’inondation, nous sommes nombreux à être restés cloués au lit. Pour ne pas aller au boulot, j’ai dû mentir à ma hiérarchie que je me suis réveillée avec un palu. Mon patron m’a envoyé un message de yako et de prompt rétablissement en souhaitant que demain je sois au bureau.
Je suis dans ma chambre, par ce temps de fraîcheur que choisissent curieusement mes pointeurs pour se signaler nombreusement dans ma messagerie. Ils me taquinent en parlant de temps sexy. Je les lis tous, en triant ceux à qui je dois répondre. Il y en a dont je n’aime pas du tout la tête. À défaut de les bloquer, j’ignore leurs messages, surtout quand ce sont de longs poèmes inutiles. Tiens, Joël-Élie vient de m’écrire. Ça fait deux semaines qu’il me drague. C’est un bel homme. Il me tente, mais je n’ai pas envie de me donner à lui maintenant de peur qu’il ne me prenne pour une fille facile.
-Coucou bébé ! Ça te dit que je t’invite à manger de l’alloko sous cette pluie sexy ? me demande-t-il par écrit.
J’ai toujours eu horreur qu’un homme qui ne soit pas mon chéri se permette de m’appeler bébé. Mais avec Joël-Élie, je ne sais pas, mais je ne m’en plains pas. Peut-être parce qu’inconsciemment il ne me serait pas indifférent ? Je n’en sais rien… Je réponds à son message, lui demandant pourquoi c’est particulièrement de l’alloko qu’il voudrait qu’on picore, et il me sort ce plaidoyer aguicheur :
-Bébé, parce que je connais un coin-là : »Chez Tantie Germaine ». Alloko de la femme-là est mal doux ! Elle fait ça bien dèh ! La couleur de l’alloko, son goût, le goût du piment, surtout son piment, son piment, fhum ! Si tu n’as pas aimé « yé naka devenir piment! »
Comme la plupart des femmes, j’aime le piment, surtout quand c’est bien fait. Très tentée de répondre favorablement à l’invitation de mon pointeur à cause de la curiosité que me suscite son alloko, j’essaie tout de même de me montrer dubitative :
-Fhum, Joël-Élie, tu es sûr que ton alloko-là est vraiment le top ?
-Aussi sûr que je suis sûr de mes sentiments pour toi.
-D’accord. Et si je viens et que ce n’est pas aussi bon que tu le décris ?
-Si tu trouves que ce n’est pas doux, je te donne 100.000 francs !
-Joël-Élie, fhum !
-Je ne plaisante pas. Mais toi également, il faudra me donner quelque chose en retour si tu trouves que cet alloko est bon. Comme ça le pari serait équilibré.
-Okay. Si c’est toi qui as raison, alors on ira se reposer juste après le repas. Ça te convient ? Votre affaire de repos-là, on sait à quel point vous aimez ça !
-Bébé, marché conclu.
Je prends ma douche, mon parapluie et rejoins Joël-Élie sous une pluie en agonie. Au restaurant de tantie Germaine que je découvre pour la première fois grâce à lui, l’alloko qu’on nous sert est franchement délicieux ! Le meilleur alloko que j’ai eu à manger depuis là. Le piment, du waw ! Mon pointeur observe mon attitude pour guetter ma satisfaction gustative. Difficile de lui mentir même si j’aurais voulu qu’il ait tort afin d’empocher ses 100.000 francs. Dois-je faire la mauvaise arbitre, la mauvaise juge, pour empocher la cagnotte ?
-Alors, l’alloko est bon ou pas ? me demande mon pointeur.
-Euh… Pour être honnête, oui, c’est très bon. Le piment aussi, j’ai adoré !
Heureux de mes observations, Joël-Élie promène le regard sur ma poitrine et mes jambes. Apparemment il a déjà commencé à se »reposer » avec les yeux.
-Il y a une résidence meublée non loin d’ici, me dit-il. Bébé, j’ai tellement rêvé de ce moment entre toi et moi !
Fhum, donc comme ça en deux semaines de drague seulement, à cause d’un pari bidon, le mec devra me « framponner » ? Ne me verrait-il pas comme une femme légère ? J’envoie un message à ma confidente, ma collègue de travail et meilleure amie, Victoire Tanny-Kpan. Je lui explique la situation pour recueillir son avis. Elle ne tarde pas à réagir : « Surtout ne commets pas cette erreur de sortir avec lui maintenant. Il trouvera que tu es facile. Dis-lui que c’était un jeu sans aucun sérieux ! Toi aussi ! Tu étais obligée de lui dire que l’alloko-là était doux ? »
Comme si Joël-Élie avait intercepté mon dialogue avec ma collègue de service, il me fixe et me parle :
-Bébé, je veux que tu saches une seule chose. Il y a des femmes que des hommes ont courtisé pendant des années, et quand ils se sont mis en couple, ce n’est pas pour autant qu’ils se sont mariés. Les coups d’un soir, ça existe, mais il y a aussi ces coups d’un soir qui deviennent des coups de toute une vie ! En matière d’amour, il n’y a jamais de temps propice, il n’y a que la folie du cœur dont nous devons suivre le diktat…
Je prends la décision de suivre mon amoureux. Le temps est sexy en plus. Nous cherchons une résidence meublée, en vain. Elles sont toutes occupées par des mineurs, des minettes, constituées parfois de géreuses de bizi, qui s’y sont retranchées pour troquer leurs charmes… Finalement nous débarquons à l’hôtel, où à ma grande surprise, je croise mon patron, qui fait son entrée dans une chambre, bras-dessus-bras-dessous avec Victoire Tanny-Kpan, ma collègue de service. Je la prenais pour une amie en lui confiant tout. Elle, par contre, ne m’a jamais dit qu’elle gère avec notre boss. Quelle sournoiserie ! Pendant qu’elle me déconseille de profiter du temps sexy, elle se cache pour se la couler douce. Embarrassant : comment pourrais-je me concentrer sur le mougouli en imaginant mon patron dans les parages alors que je lui ai menti avoir un palu ?
Pendant que j’entre dans une chambre avec mon pointeur au même moment que mon patron et ma fausse meilleure amie en font de même, je reçois un message… C’est Élie-Joël qui s’est trompé de destinataire : « Mon gars, j’ai gagné le pari de l’alloko dont le Wolosso a aimé surtout le piment. Mais elle-même son piment-là, façon je vais mal chicotter ça elle ne va pas croire ! »🤧
Louis-César BANCÉ