Y a un homme politique du Burkina Faso, chef d’entreprises, fan de LCB, qui a bien voulu m’inviter aujourd’hui dans ses locaux. Je m’y suis rendu aujourd’hui, à Ouaga 2000, contrarié d’être reçu comme un prince…🙆🏾♀
En prenant congés de lui, mon inviteur m’a accompagné jusqu’au carrefour de cette rue jaune-brune que vous voyez sur la photo. Et pendant que nous marchions, il m’a raconté une anecdote que je vous relate à travers cette histoire non imaginaire. 😊
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Un chef d’entreprises vient d’ouvrir un nouveau local, dans un immeuble de Ouaga 2000. Appelons-le monsieur Kafando. Voyant que la rue en terre jaune-brune qui mène à son entreprise est occupée par des artisans, l’entrepreneur n’est pas du tout content. Qui sont ces menuisiers, mécaniciens, cordonniers, commerçants et tutti quanti qui squattent la rue qui mène à sa prestigieuse entreprise ? Ne savent-ils pas que lui, Kafando, a horreur de l’anarchie et de l’insalubrité ? Ah oui, ils ne sont pas propres du tout, ces travailleurs de couche prolétaire qui suent vilainement sous le soleil. C’est pour cela d’ailleurs, le très puissant maire de Ouagadougou, Simon Compaoré, a entrepris de déguerpir des voiries tout citoyen illégalement installé et ennemi de la salubrité. Comme Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, agissant par le biais de la Ministre Bulldozer !
Kafando souhaite que sa rue rougeâtre soit élégante, quand ses partenaires d’affaires viendront le voir. Pour cela, il n’y a qu’une option : balayer tous ces misérables débrouillards qui obstruent ses lignes parallèles. Notre chef d’entreprises téléphone la Direction de la Salubrité Publique et de l’Hygiène de Ouagadougou pour lui soumettre sa doléance. Doléance ? On dirait un ordre, tellement les Agents d’Hygiène se montrent dociles et prompts à se mettre à exécution. Tout de suite, ils décident du jour où ils doivent venir chasser les artisans anarchiquement installés. Kafando leur souffle qu’il ne faut surtout pas qu’on sache que c’est lui l’instigateur. C’est vrai qu’il est puissant dans ce pays, mais il n’y a vraiment pas d’intérêt à montrer à ces pauvres « djôsseurs » qu’il a été à l’origine de leurs déguerpissements.
Le mardi, jour J de l’arrivée des commandos du service d’Hygiène publique, Kafando reçoit un appel de confirmation. L’opération aura lieu à 11 heures. À 10 heures, à bord de sa voiture, notre chef d’entreprises est au carrefour de sa rue jaune-brune. Alors qu’il veut accélérer pour se rendre à l’immeuble de sa société, il aperçoit sur son côté gauche le cordonnier en train de s’entretenir avec une écolière de 9 ans, montrant des étincelles de grande complicité. Il descend la vitre et observe. Le cordonnier, la peau fissurée, les mains rugueuses, tend des cahiers et des livres neufs à la petite fille. Celle-ci sourit, heureuse d’avoir de nouvelles fournitures à la faveur de la rentrée scolaire. Kafando est ému par la scène qui témoigne de la responsabilité d’un père à l’égard de sa fille… N’est-ce pas grâce à son activité dans cette rue en terre que le cordonnier parvient à s’occuper de son enfant, de sa famille, et dans la même vague, tous les autres travailleurs de ce segment qui lui ressemblent et qui veillent également sur les leurs ?
Kafando regarde l’heure et téléphone rapidement le service d’hygiène :
-Allô, nous sommes en route comme ça, DG ! lui répondent-ils.
-Ne venez plus ! s’empresse de réclamer l’entrepreneur. Faites demi-tour, s’il vous plaît !
-Que se passe-t-il, Boss ?
-Ne venez plus ! Ne venez plus ! Je ne veux plus qu’on chasse ces braves travailleurs !😭
Descendant de sa voiture, monsieur Kafando approche le cordonnier et lui tend dix billets craquants de 10.000 francs. L’artisan, confondu, n’y comprend rien…
-C’est ma contribution pour la rentrée scolaire en faveur de votre magnifique fillette, lui dit le chef d’entreprises d’une voix aimable.
Une larme s’échappe de l’œil du cordonnier en skiant sur l’un des sillages de ses grosses scarifications mossi…
Louis-César BANCÉ