De visu, les juges semblent être des personnages mystérieux dont le quotidien est complètement différent du nôtre. Il y a un mythe dans leur toge noire. Ces dieux de la terre, comme ils sont appelés, ne manquent pas de produire de vrais spectacles lors de leurs audiences, et c’est à croire qu’ils se sont tous prêtés le mot pour adopter la même posture pendant leurs jugements, en séance.

Au tribunal de Yopougon notamment, nos magistrats ont de l’humour à revendre, et tous, dans un style différent, essaient de décrisper l’atmosphère à travers leurs questionnaires et punchlines improvisés. Pourquoi les juges se montrent-ils si drôles, si taquins, parfois même lors de procès où l’affaire est d’ampleur ? Avant de répondre à la question, imprégnons-nous un instant de l’ambiance des salles.

Accusé de recel d’une télévision plasma qu’il a achetée à 20.000 francs, Tra Bi, 54 ans, était tout tremblant au parquet. À la question de savoir ce qu’il fait dans la vie, il a répondu qu’il est manager d’artiste. Et le juge de demander à nouveau :

• Tu manages quel artiste ?
• Je suis manager d’artistes gouros, monsieur le juge…
  Ce dialogue entre le prévenu et l’arbitre, arrachant l’hilarité au public, a participé à faire baisser l’anxiété du candidat à la MACA qu’on voyait tantôt trembler de toutes ses jambes…

Un autre jour, c’était le gérant d’une boutique qui passait en jugement. Son patron l’accusait d’abus de confiance portant sur des marchandises d’une valeur de 300.000 francs. Écoutons le juge dans son dialogue avec le prévenu : « quand tu es dans ta boutique, tu manges les marchandises qui sont dedans, ou bien tu as des gos dans le quartier à qui tu fais cadeau ? »

Une jugesse avertissait aussi un prévenu qui avait frappé sa petite amie par jalousie, lui causant des blessures : »aujourd’hui tu bénéficies d’une peine avec sursis. Mais tâche de ne plus revenir ici. Et si on apprend que tu as mal regardé ta chérie, ne serait-ce que ça, tu auras affaire à moi ! »…

Un prévenu, ayant volé des matériels dans une église, se faisait sermmoner de la sorte : »là où nous allons pour faire pardonner nos péchés, toi tu y vas plutôt pour en commettre ! »

Un jeune homme de 26 ans comparaissait lui, pour vol à main armée. Curieusement, il portait le même nom que la juge qui s’en est indignée : « Bah ça alors ! tu portes le même nom que moi, Guéi, et c’est toi qui fait des conneries ? »

L’humour ne manque pas dans les salles d’audience. Et un matin que je m’entretenais avec le juge Jean-Claude Lorougnon en fonction au tribunal de Yopougon, je lui demandai pourquoi les magistrats avaient tous ce côté humoristique lors des procès. Il a répondu en ces mots : « les prévenus se retrouvent très souvent seuls, n’ayant pas les moyens de se prendre un avocat. Certains sont crispés, stressés, car leurs destins se jouent sur l’instant. En nous rendant familiers vis-à-vis d’eux, c’est une manière de les mettre dans les conditions psychologiques pour qu’ils soient à même d’assurer leurs défenses, avec aisance. En dehors de cela, il y a une quantité de procès à gérer, et on peut se montrer parfois amusants comme dans un moment récréatif où on fait souffler la salle… »

Nos magistrats ont tous un humour indécrottable, incurable, qui vous fera, à coup sûr, prendre du plaisir à assister à leurs audiences. Cet humour qui les caractérise leur donne à tous, un charme irrésistible. Je vous souhaite de les rencontrer, assis confortablement en spectateur dans votre salle d’audience, mais pas dans un cas où vous aurez été convoqué pour un litige hein !

Louis-César BANCÉ