Tombés en panne au niveau de la frontière, nous désespérions de pouvoir rentrer à Abidjan cette nuit. Heureusement pour nous, derrière les broussailles non loin de nous, un mécanicien solitaire avait dressé son quartier général. Venant vers notre voiture avec son matériel de travail, après consultation, il diagnostiqua à notre véhicule une lourde panne au niveau du moteur.
- Vous ne pourriez pas rentrer à Abidjan ce soir, nous dit-il d’un air navré qui cachait mal sa joie de se frotter les mains. Il va falloir que je travaille sur la voiture pendant des heures, et ça ne risque pas de finir avant demain. La réparation pourrait vous coûter dans les 200.000 francs…
Après discussion, le mécanicien accepta de revoir son prix à la baisse. Il allait réparer notre auto à 150.000 francs.
Tous abattus à l’idée de devoir passer la nuit à un endroit peu sécurisé, nous regardions le médecin de véhicules disparaître derrière les bosquets, pour, dit-il, aller chercher une clé allen.
Pendant que nous nous lamentions du malheur qui était survenu, un vieillard, assis sous un manguier et à qui nous n’avions prêté attention jusque-là, s’adressa à nous :
- Vous êtes tombés en panne, oh, yako !
Nous regardions le vieux sans rien dire. Il mangeait goulûment une mangue avec sa bouche édentée. Soudain, il jetta son fruit, s’essuya les mains sur sa culotte déchirée, puis s’avança vers nous en psalmodiant ces mots :
- Mes enfants, d’ici je ressens la chaleur que dégage votre voiture. Vous avez conduit longtemps sans vous arrêter dèh. Vous venez d’où ?
- Ouagadougou, répondit mon grand frère Consti.
- Oh, quel malheur ! s’exclama le vieil homme. J’imagine comme vous devez être fatigués !
- Ouiii, dis-je en respirant un grand coup. Quelques 600 kilomètres au volant, ce n’est pas facile, et tomber sur une panne de ce genre, c’est vraiment le coup de massue.
- Je vous ai entendus bavarder avec le mécanicien et j’en ai ri, affirma le vieillard en caressant notre capot. Il vous propose de réparer votre voiture à la façon des blancs pour 150.000 francs. Quant à moi, je vous suggère de vous emmener à Abidjan en TROIS SECONDES, au prix que vous voudrez, et une fois là-bas, vous pourrez procéder à la réparation de votre auto.
Le vieillard réagit à nos yeux hagards :
- Ou bien, vous ne croyez pas à la science ésotérique noire ? Les Européens ont révélé la leur avec l’invention des avions, télévision, etc, tandis que nous, Africains, dissimulions les nôtres à nos progénitures. Nous sommes plus extraordinaires pourtant, nous… Mon grand frère ainsi que moi, très sceptiques, nous mettions à ricaner, croyant avoir affaire à un fou. Ce dernier s’irrita :
- Vous vous moquez de moi ? Montons dans la voiture. Avant l’arrivée de votre mécanicien, nous serons tous à Abidjan. Mais n’oubliez pas de me payer la somme que vous voudrez.
Consti et moi montions à la banquette arrière de notre véhicule, sans accorder le moindre crédit au fou qui s’était assis sereinement au côté pilote en nous demandant :
- Vous désirez vous retrouver dans quelle commune d’Abidjan ?
- Williamsville, au carrefour du kiosque mimos ! répondis-je comme un automate.
- Fermez vos yeux ! ordonna le vieux.
Moins de cinq secondes après, nous entendîmes : « Ouvrez vos yeux ! »
Nous obeîmes à son ordre sans croire où nous étions. Notre voiture était garée à Abidjan, à Williamsville, au carrefour du kiosque mimos, tout près de notre lieu d’habitation. En trois secondes, nous avions parcouru plus de 600 kilomètres. Quel miracle !
Nous restions bouches bées sans en revenir de l’extraordinaire qui s’était produit. Mon frère se pressa de glisser une liasse de billets de banque dans la main du vieillard que nous prenions pour un écervelé.
- Oh, non ! C’est trop, ça ! J’ai juste besoin de jeton, pas d’une telle fortune ! Vite vite donnez-moi des jetons.
Je jetai 150 francs dans sa paume, et aussitôt, dans un sourire, il disparut ! Sans notre voiture qui était bel et bien miraculeusement garée à notre destination, toujours sous notre ébahissement…
Je croyais que ces histoires de sorcellerie relevaient de l’imaginaire jusqu’à en être témoin, moi-même !
Louis-César BANCÉ