J’habite à Abobo, et travaille comme pompiste dans une station-service de Cocody. Ces temps-ci, j’ai le cœur trouble à cause d’une nouvelle cliente qui se sert en carburant chez moi. Elle roule dans une rutilante voiture 4×4 qu’on pourrait évaluer à plusieurs dizaines de millions. C’est évident qu’elle et moi ne venons pas du même milieu. Elle est riche et belle, tandis que moi je ne suis qu’un employé de station-service rémunéré seulement qu’à 50.000 francs le mois…Quand elle est de passage à mon lieu de travail, je la regarde avec admiration. Parfois j’ai envie de lui dire que je suis amoureux d’elle, mais m’abstiens de passer aux aveux. Un jour, alors qu’elle a les yeux plongés dans son téléphone depuis son volant, je l’entends rigoler d’une vidéo de Coach Hamond chic caviar dans laquelle il est défendu aux femmes de son acabit de s’amouracher à des Yougoss. Les Yougoss, un argot, selon la définition, ce sont les types fauchés, les hommes de situation précaire. On qualifie aussi de yougoss tout homme paresseux, oisif, qui ne se soucie aucunement de faire des efforts pour améliorer sa condition. Quant à moi, je me réveille tous les jours, à 4 heures, de bonne heure, pour aller travailler. Je fais le pompiste toute la journée et rentre épuisé à la maison, à la tombée de la nuit. Je suis courageux, mais yougoss quand même. N’en pouvant plus de contenir l’amour que je ressens pour ma cliente, je décide de passer à l’offensive. Un soir qu’elle finit de faire son plein chez moi et que je m’apprête à lui parler de mes sentiments, elle me dit quelque chose d’inattendu, à ma grande surprise :
-Cher ami, ça va ? Ça fait un moment que je prends mon carburant chez toi, et depuis lors, j’ai appris à t’apprécier. Tu es calme, poli, respectueux, et surtout très hygiénique ! Franchement, j’aime beaucoup ton affaire. Tu t’appelles comment ?
-Oscard… Et vous madame ?
-Non, pas la peine de me vouvoyer. Je m’appelle Kenza. Ça te dit qu’on dîne ensemble ce soir, 20 heures ?
-Avec plaisir madame…
-Pas madame. Kenza.
-Pardon, Kenza…
-Okay, tiens ma carte, on s’appelle.
Après le travail, je me rends au Rond point de Liberté pour m’acheter un parfum à 1000 francs. Il faut que je sente bon quand je serai avec Kenza dont l’image ne me quitte plus… Il est 18 heures passées quand je suis dans le gbaka pour Abobo. J’arrive plus tard chez moi, dans mon minuscule studio où le matelas est posé à même le sol. Je prends ma douche, me sape, me parfume exagérément, puis appelle mon crush pour m’enquérir du lieu du rendez-vous. Elle m’indique un restaurant-bar situé dans la zone de Angré-Mahou. À 20 heures pile, j’y suis, mais pas celle qui m’y invite. On me présente une grille-menu hors de portée pour ma poche de yougoss. Embarrassé, je n’ai de choix que de ne rien consommer, m’asseyant sagement sur une table en attendant l’arrivée de… Là voilà, justement, la belle Kenza, qui vient de me rejoindre dans une robe noire glamour aux épaules dénudées. Sa poitrine est gourmande et alléchante. On se fait la bise. Je complimente son style, et nous nous asseyons.
-J’apprécie beaucoup ton parfum, Oscard. C’est du Breitling ?
-Non, du LCB…
Ça me ravit qu’une fragrance bon marché ait pu obtenir l’approbation olfactive de Kenza. Pendant que notre table se garnie de nos choix victuailles, nous discutons, et elle m’apprend qu’elle est femme d’affaires. Quand mon crush paie l’addition, elle sent par l’expression de mon visage terne que j’en suis contrarié, dans mon orgueil d’homme. Tout en me caressant la main, ce qui produit en moi des frissons, elle me dit :
-Tu n’as pas à faire cette tête, Oscard. Tu pourras payer autant d’additions que tu voudras, ça dépendra de toi. Ta vie peut changer dès ce soir, si tu le veux bien. Avec la station-service, pff, ce n’est pas évident…
Kenza prend une énième gorgée de champagne. Moi également. Nous terminons presque notre bouteille, puis allons dans sa voiture d’une climatisation fraîcheur Groenland. Là, elle me regarde droit dans les yeux et articule :
-Ça te dit de me faire plaisir ce soir ? Si ça te dit, qu’on soit clair. Ce n’est pas du tout pour faire des galipettes. Tu me fais juste une tarte au poil jusqu’à ce que je sois satisfaite. Rien que cela, et je ferai en sorte que tu partes avec le portefeuille plein !
Comment refuser une telle offre alors que depuis longtemps je suis amoureux de Kenza à son insue ? Un peu surpris à cause de l’image de baronne distinguée que je m’étais faite d’elle, j’accepte toutefois sa proposition, comme un automate. Elle m’emmène dans un hôtel luxueux où je lui montre mes talents de caniche, pendant deux heures ! Rentré à la maison avec la bagatelle somme de 300.000 francs, l’équivalent de mon salaire de six mois, Kenza m’appelle le lendemain matin alors que je suis en service à la station :
-Mon bébé, fais tout pour être dispo cette nuit, je te mets sur un coup. Une dame à qui tu feras la même chose que tu m’as faite hier. Pour t’avoir testé, je trouve que tu es un champion ! Tu ne percevras pas en deçà de la somme que tu as reçue avec moi. Alors, je te branche sur le coup ?
Louis-César BANCÉ
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